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Du Gard à la Suède en DR-300/115

Publié par JS Seytre

En cette période de confinement, quoi de plus agréable avant la reprise des vols que de lire le récit d'un voyage VFR du sud de la France à la Suède  il y a un peu plus de 40 ans. D'après l'article paru dans les Actualités de l'Aéro-Club d'Uzès n°90 d'avril 2020.

Août 1979.

 La multinationale qui m’emploie vient d’acquérir l’unique usine d’un groupe suédois d’envergure internationale qui désinvestit dans ce qui n’appartient pas à son « core business ».  Dès lors c’est un défilé de cadres du siège, d’ingénieurs et de techniciens des filiales belge et française pour échanger les bonnes pratiques. Je fais partie du contingent.  J’ai 31 ans et 200 heures de vol, je me débrouille en anglais, même si je n’ai pas la QRI, je suis un « rebroussier » et je n’ai pas envie de prendre le charter. Le coup me parait jouable en DR400. Je suis déjà allé jusqu’à l’usine Belge près de Liège, et je tords à nouveau les bras à ma direction qui accepte, moyennant la signature d’une décharge.  Malheureusement, le seul avion disponible est le DR300 F-BTBS de 115 cv. Il est lent, pas trop équipé (pas d’horizon). Pas de gilet non plus pour le survol maritime.

 Mercredi 08 Août 

Décollage de Pont Saint Esprit et arrêt à Montélimar avec qui je m’étais entendu pour prendre un gilet gonflable. Puis route directe vers Strasbourg. En fin de matinée, début d’après-midi, ça cumulifie fort sur le Jura et je dois slalomer entre les têtes bourgeonnantes. En ces temps-là il n’y avait pas autant de SIV et les services Info étaient ceux des 5 FIR. Seine Info me rappelle de maintenir VMC et de ne pas interférer avec les niveaux IFR. Au-dessus du Crêt de la Neige l’aéroport de Cointrin n’est pas loin. L’approche de Strasbourg ne présente pas de difficulté particulière, la tour m’annonce le décollage de 2 Mirage III et je fais 2 hippodromes avant de me poser Ravitaillement du pilote et de l’avion, et dépôt du plan de vol à destination de Copenhague via Hambourg. Ça a déjà été chaud, mais le plus beau reste à venir. Le vol au-dessus de l’Allemagne est tranquille, en lisière des TMA de Francfort et Hanovre via le VOR de Giessen où je croise de près un autre appareil. Un jour je lirais dans Info Pilote qu’il est conseillé de ne pas chercher à faire une verticale pilepoil des VOR parce qu’on peut y rencontrer du monde qui fait pareil … 

Arrivée à Hambourg. Il ne se passe rien de spécial, et pourtant quand je pénètre sur le taxiway, le contrôleur me demande de passer à la tour. Aïe, qu’est-ce que j’ai bien pu faire dans le trafic? Quand je pénètre dans la salle, une immense carte au mur me saute aux yeux et deux contrôleurs m’attendent. Très courtois,  ils me disent :

- On a bien reçu votre plan de vol pour Copenhague.

 et ils m’amènent devant la carte :

-  Votre route passe tout prêt de la RDA (République Démocratique Allemande), ici se trouve l’ADIZ (Air Defense Identification Zone, hachurée dans les 2 sens sur la carte), c’est une zone d’exclusion et les MiG peuvent vous tirer dessus sans sommation.  Je ravale ma salive. Effectivement mon trait tangente l’ADIZ. Il faudra naviguer fin. Ravitaillement et décollage pour EKCH via le VOR de Skydstrup. Mais le VOR n’est pas détecté, même quand je passe tout près. Et je comptais sur lui pour me pousser pour traverser le détroit entre le Jutland et l’île de Sjaeland où se situe Copenhague. Je pousse jusqu’à la côte, le ciel est OVC et il commence à faire sombre. Par chance j’aperçois des ferries qui font la navette dans les 2 sens et laissent derrière eux un long sillage. Vérification du cap des sillages et de l’avion, on y va. La traversée ne dure que quelques minutes et je contacte Copenhague. Il fait de plus en plus sombre et c’est le radar qui me prend en charge sans que je le demande. Il me donne des caps et des altitudes. Jusqu’au moment où : «  la piste est à vos 12 heures » . En un éclair tout le stress et toute la fatigue s’évaporent. J’ai devant moi une piste immense éclairée par tous les feux de la rampe et je glisse doucement vers elle, comme un grand ! Avec un atterrissage entre CS et CS+30 sous ces latitudes en été, c’est peu dire que la journée a été longue : 9 H 40 de vol. Serrage du frein de parc mais je ne ferme pas à clé la cabine, selon la coutume à Pont Saint Esprit. Je vais vite dormir dans un hôtel proche de l’aéroport.

Jeudi 09 Août

 Arrivée sur le parking. Il a plu hier soir. Pré-vol. Dans l’habitacle, je découvre le robinet d’essence fermé. Je l’ouvre, mais ça m’inquiète, à Pont on ne ferme pas l’essence en rentrant l’avion dans le hangar. Pas un mot laissé sur un billet. Ça me turlupine, je rencontre quelqu’un et je comprends qu’un rondier a dû le fermer en passant. Bizarre, mais je ne pousse pas plus loin. Roulage avec un 747 à côté sur un autre taxiway, ça en jette. Autorisation alignement et décollage. A la prise d’assiette de montée, une lumière rouge dans le champ visuel périphérique. C’est la pression d’essence. Tout se bouscule dans ma tête, il faut prendre une décision, et vite. Je crie à la radio :  

- j’ai une alarme de pression d’essence

- Vous  pouvez vous poser droit devant

Effectivement il m’en reste assez sur cette piste de 3000 m ou plus. Retour au parking, recherche de quelqu’un qui puisse réparer, le temps tourne. Le coupable c’est un petit joint torique d’un purgeur qui s’est cassé et qui fuit. Il se peut que la personne que j’ai rencontrée m’ait dit ça en me montrant l’irisation sur la flaque sous l’avion et que je n’aie pas compris (?)  Re-décollage à destination de Göteborg, là où nous déposent les avions de ligne. Suivi d’une route jusqu’au nord de l’île et traversée entre Helsingor et Helsinborg. Le VOR de Göteborg ne répond pas mais il n’y a pas de difficulté à suivre un cap nord en s’aidant s’il le faut de la route ou du trait de côte. J’ai perdu des heures, Göteborg est au nord de l’usine alors qu’il y a un terrain au sud : Halmstad. Je gagnerais du temps en m’y arrêtant. Ce que je fais, et je me retrouve à rouler entre DC-9 et SAAB Draken, car Halmstad, comme Strasbourg, est un aérodrome mixte civil / militaire. Le SAAB Draken était un avion aux lignes parfaites comme le F-104 Strafighter, le P-51 Mustang ou le Super Mystère B2. De la génération du Mirage III c’est une aile delta, mais ses 2 entrées d’air aplaties en font un double delta. J’arrive très en retard à mon rendez-vous, et ce qui est marrant, c’est qu’on ne me reproche pas d’avoir pris ce moyen de locomotion, mais d’avoir eu une panne.

Le DR300 F-BTBS à Halmstad

Vendredi 10 Août

Départ en fin d’après-midi. Il a encore plu, le plafond est OVC et très bas. Les phares de voitures seront un auxiliaire utile jusqu’à Malmö et il n’est pas nécessaire de descendre pour intégrer la vent arrière…. En 1979 les éoliennes n’existent pas. Nuit à Malmö.

 Samedi 11 Août

 La nuit est de courte durée, le jour me réveille à 4 H 45. C’est un ciel de traîne pour le début de cette navigation à destination de PSE. SCT Cu 2000 ft comme on dirait aujourd’hui. Le saute-mouton d’une île à l’autre jusqu’au continent se fait avec une bonne visibilité de la côte opposée à chaque fois. Survol de l’Allemagne par le même chemin et les mêmes bonnes conditions qu’à l’aller. Posé à Strasbourg et ravitaillement.   L’avitailleur qui a un fort accent alsacien ne comprend pas le nom de l’aéro-club et je dois le répéter 2 fois. Le prévisionniste m’indique que c’est chargé sur les Vosges et le Jura. Effectivement je dois monter pour passer entre les gros Cu sur les Vosges, puis au-dessus du Jura c’est une couche soudée de SCu. Je vole on-top, et petit à petit cette couche s’épaissit et m’oblige à monter. A un moment je décide de voir si on peut passer dessous et je descends dans un trou. Avant la base des nuages, je vois des barbules qui traînent sur les sapins et une ligne HT. Mauvais plan, on remonte.  Mais un trou dans un nuage, ce n’est pas un tunnel en béton. Le trou se resserre, ou du moins c’est l’impression qu’il me donne. La bille n’est pas tout à fait au milieu, mais ces pieds crispés n’arrivent pas à la centrer. Les oreilles aux aguets de l’avertisseur de décrochage et les yeux rivés sur le badin et le mur blanc, il faut serrer suffisamment la spirale pour ne pas rentrer dans le coton, mais pas trop pour ne pas décrocher !

Bien plus tard, lors d’un vol lâché Corse, l’instructeur, pilote de chasse, qui ne sait pas mon histoire, dira en montrant une formation nuageuse similaire :

  •  tu vois la boite à lettres là-bas ? 
  •  Je vois, je vois …

je ne demanderais pas d’explication … 

Arrivé en haut j’utilise les quelques neurones qu’il me reste encore pour afficher la fréquence de Dijon Longvic au cas où j’appellerais ma mère et je mets le cap plein ouest, vers la plaine.  Et là, miracle, en arrivant sur la bordure du relief du Jura, la nébulosité disparaît. Je reprends mon cap au SSW mais j’ai accumulé les retards et je me sens bien vieux. Je décide de me poser sur le petit terrain d’Arbois, juste devant sur ma route. Plan et vitesse dans les choux, j’efface la piste. La 2ie tentative sera la bonne. Lorsque j’arrive devant le hangar, une voiture est là. Le monsieur qui en sort me dit :

  •  je suis membre du club (ou peut-être même le président), je vous ai vu tourner  et j’ai pensé que vous alliez vous poser ici. Je suis taxi et je tiens un hôtel restaurant. C’est la pleine saison toutes mes chambres sont prises, mais je vous donne celle de mon fils qui est en vacances.

Il m’a gracieusement transporté nourri et logé. 

LA PANNE DE CHATEAU ! Après de nouveau 9 H 40 de vol.

Dimanche 12 Août

Arbois – Montélimar pour rendre le gilet – Pont Saint Esprit

Au total une cavalcade de presque 25 H de vol. Mais je me suis juré de ne plus recommencer si on n’est pas à 2 pilotes, et dans un avion plus rapide et mieux équipé.  Débriefing à la maison et rangement des papiers. Je découvre que l’essencier, à la ligne « aérodrome de rattachement » a écrit « Pont Sindesbrit ».

 Gérard SEYTRE.